L’histoire du métier de cirier
Lorsqu’on me demande quel est mon métier, stoïquement je réponds « cirière ». Et s’en suit immanquablement la même réaction d’étonnement voire d’incompréhension « quoi ? Syrienne ? » Je plaide coupable. Je brouille les pistes. De 1694, date du premier dictionnaire de l’Académie française à 1935, le mot « cirière » n’existait pas. Il apparaitra seulement dans la neuvième édition de ce dictionnaire. Cirière désigne alors l’abeille qui sécrète la cire. Moi, je n’ai pas d’aile. Son nom n’est pas sa seule péripétie. Je vous emmène donc à la découverte de l’histoire du métier de cirier.
Domestiquer le feu pour devenir cirier
Garder le feu, telle était la préoccupation de nos ancêtres préhistoriques. Sa domestication daterait entre 800 000 et 400 000 ans avant notre ère. Femmes et hommes préhistoriques ont dû trouver des techniques pour l’allumer, pour le conserver et pour le transporter. Vers 5 000 ans av. J.-C., ils confectionnaient des torches avec du jonc fendu. Pour ce faire, ils trempaient le jonc dans de la graisse animale. Ils le laissaient ensuite durcir.
(Rassurez-vous, je n’envisage pas de mettre ces bougies dans ma remorque!…)
À chaque culture, son mode de fabrication de bougie
À partir de 3 000 ans av. J.-C., on utilise de plus en plus de torches. Leurs modes de fabrication s’affinent et se rapprochent de la forme des bougies et chandelles que nous connaissons.
En Chine, un tube de papier de riz était plongé dans de la cire végétale tiède. Les archéologues ont aussi trouvé des bougies confectionnées à partir de la graisse de baleine et de la cire d’abeille. En Inde, les bougies étaient réalisées à partir de cannelle bouillie et de beurre de yak. Leur utilisation se faisait essentiellement dans le cadre du culte spirituel.
En 500 av. J.-C., dans l’Empire romain, les bougies étaient à base de suif teinté. Produits de luxe, les Romains les offraient lors des fêtes des saturnales. Leur utilisation était donc très occasionnelle.
Pour s’éclairer, les Romains se tournaient vers les lampes à base d’huile d’olive. Mais la chute de l’empire a entraîné une pénurie de cette matière première. Il a donc fallu trouver d’autres moyens de s’éclairer.
(Même si le vintage est à la mode, je vous promets de ne jamais remettre au goût de jour cette fragrance romaine. En aucun cas, je ne vendrai des bougies à l’odeur de viande pourrie. Le passé doit parfois savoir rester enfoui. Reprenons le fil de l’histoire du métier de cirier.)
La diversité du métier de cirier au Moyen-âge
Il nous faut traverser la Manche et nous rendre en Angleterre pour trouver des traces des premiers fabricants professionnels de bougies. Mes collègues des châteaux forts ne se contentaient pas de cette fabrication. Ils multipliaient leur activité. Les ciriers du Moyen-âge étaient aussi producteurs de sauces, de vinaigres, de savons et de fromages.
Jusqu’alors les bougies étaient constituées d’huile et de sébum. Lors de la combustion, cette composition dégageait beaucoup de fumée et de mauvaises odeurs. Pour pallier ces désagréments, la cire vierge a été introduite. Les bougies étaient confectionnées à partir de cire d’abeille pure. Cette innovation marque réellement le début du métier de cirier.
La montée du christianisme a ouvert un marché. Les cierges jouaient un rôle central dans la liturgie et dans l’éclairage des églises. Les ciriers ont ensuite orienté leur production vers les classes les plus riches. Ils fabriquaient des chandelles en cire d’abeille pour la noblesse et le clergé. Il faut croire que le business était très florissant. En 1292, à Paris, une feuille d’impôt révèle que la ville comptait 71 ciriers. Ils avaient opté pour un mode de distribution proche du mien : le porte à porte.
(C’est dans les vieux pots qu’on invente le meilleur business model !)
L’âge d’or du métier de cirier
Peu à peu la profession s’organisa en corporation dans différentes villes. La plus grande corporation était celle de Londres. À Paris, la première fut fondée sous Philippe 1er. Son existence a été chaotique. Elle fut en effet dissoute en 1392 puis refondée en 1464.
Le XVe siècle marque l’âge d’or de la profession. Des maitres ciriers apparaissent. Ils sont chargés de la formation des plus jeunes. Accéder au métier de cirier demandait un apprentissage de six ans.
La naissance d’un nouveau métier de la bougie
Si c’est au XVe siècle que le métier de cirier prend de l’ampleur, ce n’est pas sans raison. Dans les années 1410 débute l’éclairage des rues. À Londres, les citoyens ont l’obligation de suspendre une lanterne à leur maison. En France, et notamment à Paris, il faudra attendre le XVIe siècle pour que des ordonnances contraignent les propriétaires à éclairer leurs façades. Au XVIIe siècle sont installées des lanternes dans les rues.
Et voilà que sous Louis XIV, Paris, c’était pas la joie avec tous ces voleurs partout. Alors le roi et son ministre, Colbert, ont décidé de mettre un peu de lumière dans tout ça. Ils ont choisi Gilbert Nicolas de La Reynie pour s’occuper de rendre les rues plus sûres. En 1667, il se lance dans le grande opération : il fait installer de lanternes et de flambeaux sur les rues les plus passantes pour que les bandits ne puissent plus se planquer dans le noir.
S’il faut des ciriers pour produire suffisamment de bougies pour toutes ces lanternes, il faut aussi des personnes pour les allumer. Un nouveau métier est né : « falotier« .
La révolution industrielle et le déclin du métier de cirier
Avec l’arrivée du XIXe siècle, les bougies, c’est un peu dépassé. Place à l’éclairage au gaz, une invention de Philippe Lebon. C’est une révolution ! Les villes commencent à briller comme jamais auparavant, grâce à une lumière bien plus forte. Arrivera la révolution industrielle qui entrainera le déclin du métier de cirier.
Comme pour beaucoup d’objets, la fabrication de bougies s’industrialise. Plusieurs chimistes vont mettre au point des techniques pour intensifier la productivité.
Au début du XIXe siècle à Angers, Michel-Eugène Chevreul découvre le procédé de stéarine. En séparant les acides gras et la glycérine du suif, il allonge la durée de combustion. Les bougies produisent aussi plus de lumière et moins de fumée. C’est principalement à Nantes que ces techniques sont utilisées. La ville devient le plus gros site de production français. Près de 80% des bougies y sont fabriqués.
En 1830, Karl Von Reuchenbach, un chimiste allemand, extrait un résidu solide du pétrole : la paraffine. Avec son faible coût, elle mettra au rebut les cires végétales.
Dernier coup de grâce pour la bougie et le métier de cirier : l’invention de l’électricité. Adieu les falotiers. Et la lumière se matérialisa juste avec un interrupteur!…
Et aujourd’hui
Grâce à la ténacité de certains, le savoir-faire de cirier a pu être conservé. Aujourd’hui, il est reconnu comme un métier d’art. On dénombre environ 150 amoureux des bougies à faire perdurer ces traditions. L’histoire ne dit pas combien sont les cirières !
Et moi, Carole
Né dans une famille de mineurs du Nord de la France, mon grand-père maternel a exercé ce métier dès l’âge de 12 ans. Je me souviens encore l’entendre raconter le rôle très important de la lampe de mineur fabriquée avec du benzène à cette époque. Au fond de la mine, quand la flamme vacillait, il fallait vite remonter. Elle prévenait d’un coup de grisou. A tout instant, le méthane risquait d’exploser.
(Serait-ce ces narrations qui ont trottées dans ma tête pour en arriver à mon métier de cirière? Peut-être bien finalement….)
N’hésitez pas à venir à ma rencontre. Je vous invite à venir partager ma passion ici.